Avoir un enfant, quand passer le cap ?

Quand avoir un enfant ? Existe-t-il un moment idéal et quel est le bon critère qui devrait nous décider à franchir le pas ? Accueillir un enfant ne s’improvise pas ! Stabilité de l’emploi, revenus suffisants, prédisposition mentale et physique, sont autant de conditions, parmi tant d’autres, à remplir avant d’envisager d’avoir un enfant. Mais parfois l’instinct de reproduction peut l’emporter sur la raison.

Enfanter : un instinct avant tout

Ne nous leurrons pas! L’homme est une machine extraordinaire certes, mais du fait qu’il soit avant tout un mammifère, il reste naturellement programmé pour s’assurer qu’il laissera coûte que coûte une progéniture derrière lui. Il en va d’ailleurs de la survie de l’espèce. Si du temps de nos grands-parents la question de procréer «en masse» ne se posait pas vraiment, depuis les années 1960, la contraception a considérablement fait basculer la donne.

Grâce à de simples pilules, il est devenu possible de programmer la naissance d’un enfant. L’arrivée de ce puissant moyen de contraception nous a complètement bousculé sur le plan psychologique. Il nous a fait rompre avec notre instinct primaire. Désormais, nous pouvons choisir à quel moment nous reproduire. Une situation qui, de fait, a littéralement modifié nos perspectives. L’homme moderne réfléchit différemment. Il se dit maintenant que «je» peux décider, alors il me faut une bonne raison pour prendre cette décision. Un choix certes, mais qui fait peur !

Et pour cause, on ne peut plus répondre «c’est la vie», puisque l’on fait un choix conscient relatif au moment d’enfanter. Nous sommes tiraillés par notre instinct qui est toujours là et le pragmatisme qu’impose notre époque. Notre instinct nous pousse à vouloir des enfants alors que la raison nous envoie des messages contradictoires qui consistent à attendre le bon moment.

Une question de timing aussi

Avoir un enfant est un choix qui devrait être mûrement réfléchi et étudié car il influe de manière irréversible et directe sur l’avenir de notre couple mais aussi nos choix, nos décisions et notre autonomie. Souvent, nous nous disons que c’est le bon moment pour avoir un enfant sans nous baser sur des éléments concrets, en suivant le chemin de la fatalité ou tout simplement pour faire comme les autres.

On décide par exemple qu’il est temps de mettre au monde un enfant juste parce que tous nos amis commencent à en avoir ou parce que notre famille ou nos connaissances s’inquiètent qu’à notre âge nous n’en avons toujours pas, ou encore parce que l’on estime que bientôt notre horloge biologique nous empêchera d’en avoir. Parfois aussi, nous décidons de procréer parce que notre conjoint(e) veut absolument un bébé, ou parce que nous avons le sentiment que c’est la seule façon de sauver son couple.

Or le projet d’avoir un enfant est très sérieux. Si accueillir un bébé est synonyme de grand bonheur, c’est également une pléthore de soucis qu’il faudra gérer au quotidien.

Vous sentez-vous actuellement prêts pour cela ? N’avez-vous pas encore des défis personnel ou professionnel à atteindre en priorité, des défis que l’arrivée d’un enfant pourrait entraver, remettre à plus tard ou tout simplement vous pousser à y renoncer ? Prenez un instant et réfléchissez à ce que pourrait être votre vie si vous aviez un enfant en ce moment même et essayez de lister dans votre esprit tous les avantages et inconvénients de cette situation.

Que feriez-vous alors ? Etes-vous toujours aussi motivé ? En fonction de ces questions et en pesant, avec votre conjoint, tous les pour et les contre, vos choix se préciseront peu à peu.

Un enfant est-il le produit d’une pression sociale ?

Souvent la pression de notre entourage et de la société peut biaiser notre décision quant au moment idoine pour avoir un enfant. Lorsque nous avons entre 30 et 40 ans, ce qui correspond souvent à l’âge où tout le monde se lance dans la grande aventure familiale (et vous encourage à plonger aussi !), la pression devient énorme. On commence à envisager d’avoir des enfants «avant qu’il ne soit trop tard». Toute notre société est construite sur ce modèle qu’elle reconnaît et qu’elle avantage moralement et socialement. Une femme «normale» doit forcément vouloir avoir des enfants. Autrement, elle a sûrement des problèmes ! Un couple équilibré qui s’aime doit forcément avoir des enfants. Si ce n’est pas le cas, c’est que quelque chose ne fonctionne pas ou que le couple ne s’aime pas assez. Or, des tas de couples déséquilibrés ou qui ne s’aiment plus font des tas d’enfants ! Les filles particulièrement, sont conditionnées, dès leur plus jeune âge, à devenir mère. Les femmes qui veulent, mais qui ne peuvent pas avoir d’enfant, se sentent tout de suite inutiles et désespérées, car la société oublie de les rassurer sur le fait qu’on peut s’épanouir sans être mère et qu’un enfant ne garantit pas une vie heureuse.

Quand la peur bloque tout…

Parfois c’est l’inverse qui se produit. Nous n’arrêtons pas de remettre à plus tard la grande décision d’avoir un enfant. Au lieu de passer facilement ce cap, nous sommes tétanisés par l’idée de procréer et d’être obligés d’aller au devant de responsabilités que nous estimons ne pas être en mesure d’assumer. La peur nous bloque. Trop de questions fusent dans notre tête et trop de personnes autour de nous nous donnent leur avis tranché sur cette question. Nous nous mettons à remettre sans cesse à plus tard notre projet d’avoir un enfant. Nous repensons aux propos incendiaires que nous tenions, sous la colère, à nos parents lorsque nous étions adolescents.

Alors, de peur qu’une telle scène ne se reproduise, nous cherchons des subterfuges pour retarder notre projet d’enfant. Certains diront : je ne veux pas prendre, pour le moment, la responsabilité de mettre un enfant au monde dans le contexte économique actuel. D’autres peuvent se dire : je ne ferai pas d’enfant avant d’avoir une situation professionnelle stable, un bon salaire ou encore, je ne ferai des enfants que lorsque je serai avec l’homme ou la femme de ma vie et que je serai sur(e) à 100%. Parmi les raisons les plus récurrentes qui poussent les couples à ajourner leur projet d’enfanter viennent les questions telles que Suis-je assez mûr aujourd’hui pour être un bon père ou une bonne mère ? Serons-nous sans cesse fatigué et stressé par le manque de sommeil ? Est-ce que cela ne nuira pas à notre couple ou à notre travail ? Comment allons-nous nous organiser ? Devra-t-on embaucher une nounou afin qu’elle s’en occupe ? Un enfant coûte cher, a-t-on réellement les moyens aujourd’hui pour le prendre en charge ? Comment lui payer tout ce dont il a besoin? Est-ce que sa mère devra arrêter de travailler? Est-ce qu’il faudra trouver un autre travail, mieux rémunéré et plus flexible au niveau des horaires ? Est-ce qu’il va falloir dire adieu à ses projets de carrière ?

Retarder l’arrivée d’un enfant : oui, mais où est passée la magie ?

Bien sûr les conditions idéales pour élever un enfant sont d’être un couple qui s’aime, d’avoir du temps à lui consacrer ainsi que d’avoir un logement adapté et une situation financière qui permet de couvrir ses besoins. Mais ce ne sont pas les seules garanties du bonheur. Malheureusement, la question est perçue de plus en plus comme anxiogène, même dans notre société marocaine qui ne considère plus qu’un enfant «kaytzad b’rezko» (naît avec son argent) !

«Si à l’époque de nos grands-parents il était possible d’avoir 12 enfants et que cela ne coûtait quasiment rien, aujourd’hui il faut penser à l’argent de la crèche puis de l’école, sans compter la nourriture, les jeux, les traitements de santé, les vacances, etc», explique Aida, jeune mariée qui n’envisage d’avoir un enfant que dans cinq ans minimum. Mais où est donc passée la beauté de donner la vie ? Qu’en est-il de la magie d’enfanter et de l’enchantement de permettre à un être humain de vivre sur cette planète, d’expérimenter la vie?

«Pour un couple, avoir un enfant est d’abord une affaire de compromis»

Entretien avec le docteur Bernard Corbel, psychologue au cabinet Synergy Psy à Casablanca

Qu’est-ce qui expliquerait cette baisse concernant l’envie d’avoir un enfant chez les couples marocains ?

Le sujet possède une dimension sociologique en plus d’une dimension psychologique. Le Maroc a beaucoup évolué. Nous sommes passés d’une société où le couple aspirait à avoir 5 ou 6 enfants, il y a à peine une trentaine d’années, à une société où les couples freinent leurs envies de procréation par le biais de moyens de contraception ou autres.

Auparavant, on se mariait systématiquement pour avoir des enfants. Les beaux-parents et la famille étaient en permanence là pour demander aux mariés des bébés ! Aujourd’hui, le couple cherche une certaine autonomie et une certaine liberté qui reste difficile à obtenir s’il a des enfants.

Cette tendance est-elle générale ?

Non bien évidemment !
Aujourd’hui, il convient de faire la part des choses et de dire qu’il existe un Maroc rural et un Maroc urbain et que le taux de fécondité et l’envie d’enfanter diffèrent considérablement entre ces deux factions importantes de la société. De même qu’il existe une classe moyenne, une classe populaire et une classe riche et que les aspirations à procréer changent d’une couche sociale à une autre. Le niveau intellectuel est également très important. Plus une femme a fait d’études et plus tard elle voudra se marier et avoir de enfants. L’accès à une culture plus occidentalisée change également considérablement la donne. La femme est de plus en plus invitée à s’émanciper et se détacher d’un rôle qu’on lui attribuait et qui la cantonnait à être une simple génitrice.

Quels conseils donneriez-vous en tant que psychologue à l’homme et à la femme pour qu’ils réussissent à fonder leur choix d’avoir ou non un enfant ?

Justement en tant que psychologue je ne leur conseille rien (rires) ! J’essaie juste de leur apporter plus de sérénité dans leur choix, en tant qu’individus d’abord, et en tant que couple ensuite. La décision d’avoir un enfant se prend à deux. C’est une forme de compromis et dès que ce compromis est fixé, on arrête la contraception et on attend !
Parfois, il peut arriver un moment où une telle décision se prendra naturellement au sein d’un couple, soit parce que c’est vital pour l’avenir de ce couple, soit quelque part pour se conformer tout simplement aux attentes de la société ou à celles de la famille.

Dans la psychologie du couple, quel impact pourrait avoir l’arrivée d’un enfant et quel impact aurait éventuellement sa non-arrivée ?

Dans les deux cas, c’est compliqué (rires) ! Dans le cas où un enfant n’arrive pas ou tarde trop à arriver, il y aura des doutes qui commenceront naturellement à s’installer quant à la virilité (pour l’homme) et à la fécondité (pour la femme). Il pourrait s’en suivre une souffrance, un sentiment d’inaccompli, de frustration, de malaise voire de dépression. L’arrivée d’un enfant en revanche suppose un stress.
C’est à la fois un lien qui unit le couple, mais qui le désunit aussi ! Une grossesse est une contrainte à gérer tous les jours et qui est loin d’être simple.

Après l’accouchement, la vie devient conditionnée et n’offre que très peu de répit au couple, puisque l’enfant prendra une place centrale : on ne peut plus sortir, on ne peut plus dépenser, on ne peut plus dormir normalement etc.

Ce besoin de s’émanciper chez la femme marocaine ne pourrait-il pas développer chez elle une sorte de «peur» d’enfanter ?

Je ne serais pas formel, mais sur le plan psychologique la femme d’aujourd’hui en général et la femme marocaine en particulier prend de plus en plus soin de son corps. Le corps et la beauté sont des attributs puissants pour s’émanciper plus facilement et plus rapidement sur tous les plans, y compris sur le plan professionnel. Or les femmes commencent à développer une certaine appréhension à enfanter, craignant que leur corps ne se déforme des suites de la grossesse ou de l’allaitement. Ce qui peut engendrer une sorte de peur inconsciente, une angoisse du changement corporel ou une angoisse du corps «déchiré». Ces phénomènes restent bien évidemment marginaux, mais ils peuvent exister.

Et l’angoisse de la responsabilité ?

Si je me réfère à mes patientes marocaines, je ne dirais pas qu’elles ont peur de la responsabilité par rapport au fait d’enfanter. Elles ont plus une espèce d’évidence par rapport à la question d’avoir un enfant. Leurs choix sont plus guidés par la raison que par une appréhension née d’une quelconque émotion comme la peur d’être au devant de nouvelles responsabilités liées au fait d’avoir un enfant.

Quid de l’instinct de procréer chez la femme ?

Il convient de signaler que cet instinct n’est pas forcément universel, mais il est vrai que les femmes qui l’ont sont plus nombreuses que celles qui ne l’ont pas. Il peut être absent, mais se manifester à un certain âge chez la femme, généralement autour de 30 ans. N’empêche que les femmes, plus que les hommes, ont le sentiment de s’accomplir pleinement qu’une fois qu’elles enfantent. Un sentiment qui est exacerbé par le maillage que possède le couple avec les beaux-parents. Un enfant est perçu comme étant celui de toute la famille, plutôt que celui du couple qui l’a mis au monde.

Et le père dans tout cela ?

Les pères restent plutôt en majorité demandeurs à avoir des enfants. Un homme épouse une femme en grande partie aussi pour avoir des enfants.
Le père ressent moins que la mère ce sentiment du «corps qui change», qui se déforme, qui se déchire… Le père est moins sujet à l’angoisse d’avoir un enfant que ne l’est la mère qui, elle, devra le porter 9 mois, accoucher, allaiter, surveiller et mettre, éventuellement, en standby sa carrière professionnelle ou autre pour s’occuper de l’enfant qui va naitre.

 

Source: FA

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